Thé et apartés

Le temps était quelque peu couvert et le vent frais, aussi BM avait délaissé le jardin et regardait la lande depuis la fenêtre du bureau.

La chaleur de la cheminée donnait à la pièce une température douce et c'est finalement avec un sourire béat qu'elle se laissa tomber dans le profond fauteuil, juste contre l'âtre.

Sur la table, un plateau, du thé et quelques biscuits ... que demander de plus pour attendre le Père Thrandhuil ?

Invité

a bottle of scotch...

voilà ce qui manquait sur la table, remarqua tout de suite le curé en entrant.

Le bon jorn mon enfant.

La porte qui s'ouvrait la tira de la torpeur qui commençait à la gagner.

Revoir le Père Thrandhuil après toutes ces années faisait resurgir des flashs du passé, bons ou mauvais, mais c'est avec un grand sourire aux lèvres que BM, se levant vivement, s'inclina avec respect :

Madainn mhath Mon Père, Comment allez-vous ? Je suis ravie de vous retrouver après tout ce temps.

Lui présentant le second fauteuil, elle ne put s'empêcher de lui glisser, avec peut- être une pointe de malice ...

Avez-vous remarqué comme ce bonjour gaélique sonne presque comme le breton ? Je lui trouve plus de couleurs que ce provençal qui m'a toujours quelque peu écorché les oreilles ...

Une tasse de thé pour vous accueillir ? A moins que vous ne préfériez quelque chose de plus ... local ?

Décidément, il faudrait qu'elle apprenne à museler cette impertinence qui lui venait toujours si facilement quand elle n'était pas très à l'aise ...

Invité

Le bon jorn est pourtant assez chantant. Question d'ouverture d'oreille, j'imagine.
Je veux bien un truc local, si on trinque.

Et le curé de s'assoir à la table.

BM eut un léger sourire et se dirigea vers le coffre de marine posé près du bureau. Elle savait que Lord Saint-Clair y tenait une petite réserve de son meilleur whisky.

Caressant au passage le bois ciré et les superbes ferrures astiquées, elle en sortit une timbale et une flasque habillée de cuir.

Me pardonnerez-vous de ne pas vous accompagner autrement qu'avec du thé, mon Père ? Mais je préfère rester sage et ne succomber que pour les biscuits. Ils sont délicieux, ne vous privez surtout pas.

Puisque le Père préférait les hautes chaises au confort des fauteuils, elle le rejoignit à la table, ne put s'empêcher de piocher un gâteau et attendit qu'il donne le ton de la conversation ...

Invité

Mon pardon en la matière n'est pas facile à obtenir, il faudrait donc trouver un meilleur argument que la sagesse, ma fille.

Ce disant, le curé se leva, ouvrit le joli coffre, y pris une seconde timbale, tout en en zieutant rapidement le contenu d'un oeil expert.
Revenant à la table, il posa la timbale face à la jeune femme, la remplit et se rassit.

Un grand moment de solitude !!!

BM tenta de ne pas trop écarquiller les yeux et inspira profondément pour ne pas laisser une certaine panique la gagner.

Penser vite et agir réfléchi ... Se levant, elle ouvrit la porte derrière laquelle se tenait toujours un domestique et lui murmura quelques mots à l'oreille puis revint s’asseoir en face du Père.

Prenant délicatement la timbale dans ses mains, elle en réchauffait légèrement le contenu, comme hypnotisée par le liquide ambré.

A l'instant où le domestique entra dans la pièce, chargé d'un plateau débordant de victuailles, sa décision était prise : la genevoise qui demeurait en elle n'avait jamais reculé devant l'obstacle, ce n'était pas la catalane qui commencerait ...

Yec'hed mat, Monseigneur, je me souviens que j'aimais vous appeler ainsi, je tiens à vous faire plaisir ...

La timbale avalée cul sec, BM ferma les yeux pour empêcher les larmes de monter, ravagée qu'elle était par une langue de feu dans la gorge et une pensée unique surnagea dans le naufrage : Hannnnnnn !!! c'est plus fort que le Génépi ! Ces foutus savoyards sont vraiment bons à rien !!!!

Et dans la foulée mettre en pratique la règle numéro 1 : ne jamais boire sans manger ... BM posa avec empressement une énorme tranche de saumon fumé sur une non moins énorme tranche de pain bis et mordit dedans avec gourmandise ...

Invité

tranquillement, pendant que le saumon disparaissait en face de lui, le curé dégusta le fin jus malté.
Une fois le verre vide (et le rose poisson englouti en face de lui), il dit:

Maintenant que nous avons bu ensemble, il m'est d'usage d'opter pour le tutoiement.

Morte de honte et certainement plus rose que le poisson qu'elle avalait, BM tentait de résister aux effets secondaires provoqués par le whisky !

Elle avait l'impression d'être assise au milieu de la cheminée et c'est d'une main incertaine qu'elle pris la théière et tenta d'éteindre l'incendie ...

Rien ne me fera plus plaisir Mon Père, faites comme il vous plaira ...

Invité

A la bonne heure!
Remplissage des verres.

Alors, quelle est la principale chose au tu as retenue de ta pastorale?

Horreur et impuissance ... En voyant les timbales de nouveau pleines, elle eut comme un geste de survie désespéré et piocha une poignée de biscuits dans le plateau ! BM ne tenait pas l'alcool ! Tous ses amis le savaient et elle évitait toujours soigneusement de se laisser totalement aller, étant ensuite capable des pires sottises ....

Affermissant sa prise, elle porta la tasse de thé à ses lèvres, ignorant délibérément la boisson en face d'elle.

Comme vous le savez, j'ai été instruite dans la religion Réformée, et s'il y a de nombreux textes communs dans nos deux pratiques, nous avons une façon sensiblement différente de les vivre. Plus exactement, il me semble qu'un aristotélicien réformé vit ses lectures alors qu'un aristotélicien orthodoxe s'y réfugie.

Cette façon d'être guidée est nouvelle pour moi, et je suis ravie que ce soit Lord Saint-Clair qui se soit chargé de me montrer le chemin, parce que je ne l'aurai peut être pas accepté autrement.

J'avoue que de ce fait, l'orthodoxie me semble moins exigeante envers l'individu, puisqu'elle lui évite les interrogations et les chemins de traverse, mais elle mène plus vite à la sérénité et à la paix de l'âme.

Voici une des premières choses que j'ai retenue. Peut-être n'êtes vous pas d'accord avec moi ?

Invité

quels livres as-tu lu?

Quels livres ?

Mon enseignement a commencé par le Livre des Vertus mon Père, dans sa version complète, et j'avoue avoir été particulièrement marquée par la Création et la Fin du monde.

J'ai ensuite poursuivie mon étude par la vie de Christos, celle d'Aristote, et des écrits que vous ne semblez pas reconnaître, ceux d'Averroès.

Il y a des différences notables entre les deux versions, mais mais l'enseignement de Lord Saint-Clair m'a permit de comprendre que rien en fait, n'est incompatible, si on veut bien faire un petit effort.

Le thé était devenu froid et BM ne se sentait pas assez d'aplomb pour aller le chauffer à la cheminée, aussi pris t-elle la timbale avec précaution et y trempa-t-elle les lèvres ....

Invité

Une pastorale est un enseignement de base. L'on y apprend les livres, et leur interprétation première. C'est un exercice délicat pour qui réfléchit. Mais instructif.

J'ose espérer que le "vous" que tu as employé désigne l'église Romaine, et non ma personne. Le tutoiement est moins équivoque. J'ai lu Avéroes - entre autres-, comme tous ceux qui travaillent au scriptorium.

Et le curé de regarder explicitement le verre plein.

Je comprends mon Père, je vois bien que l'heure n'est plus aux comparaisons et que je ne suis qu'à l'orée du chemin qui me mènera vers la lumière et la foi.

Je te suis reconnaissante, de bien vouloir m'aider à venir à bout des écueils que peuvent représenter mes errements anciens, et je vais donc me laisser guider en toute confiance.

Finalement, le tutoiement venait plus facilement qu'elle ne l'avait pensé, peut être un effet de la douce euphorie due à l'alcool, elle se sentait aérienne et avait l'impression de se voir agir, comme dédoublée ...

Invité

ne mélange pas la Lumière et la Foi.

La lumière est un chemin, un travail, alors que la Foi ne se construit pas.

Quant à tes errements, ils constituent, positivement, ta marche sur ce chemin. Et non une question de Foi.

Considère la Foi Aristotélicienne. (j'ai pas dit Romaine). En quoi est-t-elle belle?

La question méritait réflexion ... Et une petite gorgée de whisky ... Finalement, bu sans précipitation, c'était plutôt agréable ...

Après un long moment passé à regarder les flammes, où l'on aurait pu croire que BM avait oublier la question, elle se lança :

On peut dire que la Foi Aristotélicienne c'est la tolérance, l'entraide, le pardon, toutes choses qui permettent de vivre en harmonie avec les autres mais pour moi, plus que tout le reste, ce qui rend belle la Foi Aristotélicienne, c'est l'espoir qu'elle donne ... espoir d'une vie meilleure, espoir d'une vie éternelle faite de béatitude ... Et cet espoir permet de supporter un passage terrestre qui n'est pas toujours aisé.

Oui, vraiment, à mon sens, c'est l'espoir qui rend la Foi Aristotélicienne belle ...

Invité

Je ne partage pas ton point de vue, mais il est acceptable.
Pour moi ce qui rend la Foi aristo belle, c'est quand elle nous dit que l'Amitié est une chose qui transcende l'humain.
Mais le Beau, comme la Foi, sont des choses très personnelles, pour lesquelles il n'est aucune règle.

Et si la Foi est si personnelle, quel est l'intérêt de faire une pastorale, selon toi?

Partant du fait que nous n'avons pas tous la même interprétation de la Foi, l'intérêt de la pastorale n'est-il pas, justement, de permettre des échanges pour en découvrir différents aspects ?

Piochant machinalement un nouveau biscuit sur le plateau, BM attendait la réponse du Père, pas très sûre que sa réponse soit satisfaisante.

Invité

Tu es sur le bon chemin, mon enfante.
Mais entre deux chemins, il en existe une infinité que chacun peut emprunter.
Tu connais sans doute le Cardinal Richelieu.
Dis-moi, du point de vue de l'orgueil, non tout ce qui vous diffère, mais tout ce qui vous rassemble.

Elle en resta pétrifiée !

Richelieu ! Que pouvait-elle avoir de commun avec ce ......

Se levant, elle alla se poser juste en face du feu, totalement décontenancée, et juste réceptive à sa chaleur.

Nettement plus facile de faire la longue liste des choses qui les différenciaient, et puis l’orgueil ? Tournant et retournant, revenaient en foule dans son esprit, tout une foule de souvenirs se rattachant à ce nom.

Des brides de conversations, des écrits, des réunions houleuses .... Oui, elle connaissait Richelieu bien qu'elle ne l'ai jamais rencontré en tant que tel ...

Et finalement, c'est de là que vint une réponse :

Vous avez raison Mon Père ! Bien que j'exècre cet homme et ce qu'il représente, je suis bien obligée d'admettre que nous avons quelques points communs.

Peux-t-on appeler ça de l'orgueil, je ne sais, mais le premier de ces points communs est surement le fait de nous penser uniques en étant multiples ! Et surtout cette commune idée que nous avons de croire utiliser cette multiplicité pour le bien commun alors qu'elle n'est que le reflet d'un besoin de tout contrôler.

En découle le fait de se penser indispensable et celui de toujours vouloir avoir raison.

Et même en vous avouant cela, je ne puis m'empêcher de me penser meilleure que lui, ce qui est tout sauf une manifestation d'humilité. Et c'est certainement un point commun de plus.

Revenant vers la table, elle piocha un dernier biscuit et préféra cette fois une tasse de thé.

Est-ce vraiment de l'orgueil tout ça ? Vous savez, vous me faites doutez, je n'ai jamais eu l'impression d'être orgueilleuse .....

Invité

bin oui, l'orgueil, c'est se dire, je vaux mieux que mon ennemi.

Tu auras appris le père de tous les pêchés.

Bon.

Je t'arrose quand? et où? je pourrai visiter la cave avant de dire oui?

La cave n'avait pas été facile à trouver, la clé nettement plus facile à obtenir : un charmant sourire à Lord Saint-Clair et une explication toute simple

Pouvez-vous, je vous prie me confier la clé de la cave ? Monsieur le Curé aimerait choisir lui même son vin de messe

Le Tour était joué, et maintenant, BM retournait chercher le Père pour lui faire les honneurs de la pièce mystère !

Surtout ne pas se perdre dans les couloirs, et même prendre quelques repères, car, malgré son désir de garder le contrôle, elle n'était pas certaine de revenir très claire de l'escapade .....

Je vous précède Mon Père, et faites attention aux escaliers, ici, ils sont souvent glissants ! Et durs aussi, je les ai déjà testés ....

Munie d'une torche, BM ouvrit la porte qui jouxtait les cuisines et entrepris de descendre avec précautions